Conférence "Les Femmes qui ont compté dans la vie de Gounod" rédigée par mon grand-père Jean-Pierre Gounod,
donnée à Genève en 1992 au "Cercle français de Genève"
Introduction
1893-1993, on commence à parler, dans les milieux de la musique de la célébration du centenaire de la mort de Charles GOUNOD. Aussi, d'entrée, je désire remercier votre Président Jean PLIHON de me permettre d'ouvrir ici à Genève la commémoration de la mort de celui qui fût un très grand compositeur français, mon arrière grand-père.
Cent ans ! et pourtant sa musique apparaît toujours suffisamment présente et jeune pour que parfois l'on me pose la question: "l'avez-vous connu?". On ne me la posera plus !
Yvette GUILBERT, célèbre pour son répertoire canaille: "Le Fiacre", "Madame Arthur", morte en 1944, avait en 1883 créé la chanson dite de "La glue" sur des vers de Jean RICHEPIN, mis en musique par GOUNOD, c'était hier !
J'ai, un moment, pensé vous entretenir des multiples tracasseries que rencontre un artiste au cours de sa carrière, il y aurait certes de quoi étoffer une causerie. En effet, revoyant il y a peu le film "Amadeus", j'ai noté que MOZART était, par la Cour, interdit de ballets! Pour GOUNOD, au contraire, l'accès à l'Opéra exigeait un ballet, composé après coup, ce qui fût réalisé tant pour Faust que pour Roméo interrompant ainsi l'intensité dramatique de l'oeuvre.
-Sait-on que la Comédie française voulait interdire le "Médecin malgré lui", considéré comme une concurrence déloyale à la pièce de Molière ?
-Sait-on que Rome voulait que l'on supprimât dans Faust la scène de l'église considérée comme sacrilège ?
-Sait-on que le Pape Pie X voulait proscrire dans la Messe de Sainte Cécile les répétitions trop nombreuses de paroles, y trouvant une tendance profane ?
-Sait-on que l'éditeur CHOUDENS, qui aimait GOUNOD pour ce qu'il lui rapportait, n'aimait pas Faust et disait à ses enfants: "Si vous n'êtes pas sages je vous emmène entendre Faust'"
-Sait-on que léon CARVALHO, directeur de l'Opéra Comique, ex Théâtre Lyrique, exigeait de remplacer les récitatifs chantés par de simples dialogues sans musique, pour mieux mettre en valeur les divas lors de leur entrée en scène ?
-Sait-on enfin que la cantatrice Mme CARVALHO, épouse du précédent, exigeait qu'à la fin de l'opéra, Mireille et Vincent se marient.
Les anecdotes de ce type seraient nombreuses, amusantes certes, mais tout compte fait assez déprimantes, aussi, ai-je préféré vous inviter à pénétrer plus avant dans l'intimité de Charles GOUNOD, en découvrant avec vous quels furent le rôle et l'influence de certaines femmes qui comptèrent dans la vie de Charles GOUNOD et qui n'ont pas été sans laisser derrière elles au hasard de leur rencontre avec GOUNOD un certain "parfum de femme", comme MOZART le fit déjà dire à Don JUAN.
Le hasard veut qu'elles soient en nombre égal à celui des muses censées veiller sur la puissance créatrice des hommes, sous ses diverses formes. Je vais donc évoquer devant vous le souvenir de neuf femmes, toutes de caractère exceptionnel. Sans elles, GOUNOD n'aurait peut-être pas été GOUNOD !
Avant de dévoiler ces rencontres successives, laissez-moi rapidement vous situer dans le temps notre musicien. Il avait neuf ans à la mort de BEETHOVEN suivie l'année d'après par celle de SCHUBERT. Quand il quittera ce monde, DEBUSSY aura déjà 31 ans, Eric SATIE seulement 27, mais FAURE et DUPARC auront déjà atteint la maturité et ne seront pas éloignés de la cinquantaine.
Victoire LEMACHOIS (1780-1858)
La première femme qui compta dans la vie de GOUNOD portait comme nom de jeune fille celui de Victoire LEMACHOIS. Qui était Victoire ? Elle était sa mère. GOUNOD lui voua une affection et une reconnaissance de tous les instants.
"Aimez-la bien, car elle m'a tant aimé que nous ne serons pas trop de deux pour le lui rendre", écrira-t-il à sa fiancée.
Il serait injuste de passer sous silence son père, François-Louis, peintre et dessinateur de talent qui quitta ce monde alors que son fils n'avait que cinq ans.
Victoire, dès l'âge de onze ans, donnait des leçons de piano pour subvenir aux besoins de sa famille dont la Révolution avait rendu la vie précaire. Formée par le violoniste allemand HULLMANDEL, devenue veuve, elle reprendra à quarante-trois ans le métier de sa jeunesse. "Ma mère, qui avait été ma nourrice, m'avait certainement fait avaler autant de musique que de lait. Jamais elle ne m'allaitait sans chanter et je peux dire que j'ai pris mes premières leçons sans m'en douter et sans avoir à leur donner cette attention si pénible au premier âge et si difficile à obtenir des enfants".
Observant l'éveil précoce de son fils à la musique, Victoire ne fut pas sans en éprouver une certaine inquiétude. La dureté de la vie lui avait fait espérer que Charles entrerait dans la carrière militaire, ou sinon dans le notariat, son père ayant été avocat au Parlement de Normandie. Il en fut autrement. Victoire s'inclina devant la ferme volonté exprimée par son fils de se consacrer à la musique. Il avait treize ans.
Le premier mérite de Victoire avait été de donner le jour à un fils tel que Charles, mais elle ne le savait pas. Son deuxième mérite fut de reconnaître en son fils l'étoffe d'un véritable musicien. Son troisième mérite fut de percevoir très tôt le penchant de son fils pour la vie ecclésiastique. Sans l'attaquer de front, elle sut le mettre en garde contre les appels du Père LACORDAIRE, et lui écrivit à Rome: "à moins que tu n'aies décidé dans ta tête et dans ton coeur de te faire dominicain, ce que je ne crois guère propre à ta nature passionnée, tiens-toi sur tes gardes et déclare toi bien franchement artiste qui a des sentiments religieux, mais non religieux de pratiques multiples, qui veut se réserver d'être artiste..."
Elle avait eu la finesse de mettre dans les bagages du jeune Charles en partance pour Rome, le ''Faust" de Goethe, traduit par Gérard de Nerval. Plus tard, le retour à Paris approchant, elle lui demandera: "Je ne sais de quel côté tu désireras loger lorsque tu reviendras. Sera-ce près des Missions où près de l'Opéra ?". Quelle délicatesse dans l'affectueuse insistance à regarder les problèmes en face ! GOUNOD suivra néanmoins des cours de théologie sous l'habit ecclésiastique, mais il écrira: "Je m'étais étrangement mépris sur ma propre nature et sur ma vraie vocation". Son quatrième mérite fut de conseiller son fils quant à l'orientation de ses recherches en matière de composition musicale. Très cultivée et fine psychologue, elle pouvait se le permettre. "Le médecin malgré lui" répondit à une préoccupation qu'elle lui exprima dès son séjour à la Villa Médicis, à savoir: ne pas se cantonner dans le genre sérieux. La première du Médecin malgré lui fut donnée le 15 janvier 1858. Sa mère mourut le lendemain.
Les soeurs GARCIA
Plus connues sous les noms de
La MALIBRAN 1808-1836 et Pauline VIARDOT 1821-1910 (photo)
A douze ans Charles est emmené par sa mère entendre la Malibran dans Otello de ROSSINI. C'est ce jour-là qu'il aurait rêvé de se consacrer à l'art musical. A quatorze ans ce sera le Don Giovanni de MOZART qui lui fit éprouver, écrira-t-il "un tressaillement de bonheur".La MALIBRAN avait vingt-deux ans, Charles douze. Elle ne fut pas à proprement parler une muse. Nous dirons qu'elle fut la première sirène qui le charma.
En 1840, alors pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, GOUNOD, âgé de vingt-deux ans, rencontre les VIARDOT en voyage de noces en Italie, Pauline avait dix-neuf ans, elle chantait et appréciait les talents de GOUNOD comme accompagnateur. Mais leur vraie rencontre aura lieu à Paris durant l'été de 1849. C'est le violoniste et chef d'orchestre SEGHERS qui fit se re-rencontrer à Paris Charles et Pauline. L'entretien qui devait être court dura deux heures. Pauline fut subjuguée et charmée par GOUNOD, son génie l'étonna, elle lui trouva noblesse et distinction, elle assura son amie Georges SAND que son nouvel ami appartenait à la même sphère que MOZART. Les soirées des VIARDOT, rue de Douai à Paris, réunissaient un ensemble exceptionnel d'artistes et d'admirateurs. Le goût, le désir de GOUNOD pour toutes sortes de musique était insatiable, et plus tard Pauline prétendra qu'elle faillit y perdre la voix !
Comprenant quelle pourrait être son influence dans le monde de la musique lyrique après le triomphe de Pauline dans "Le Prophète" de MEYERBEER, GOUNOD la persuade que son ami Emile AUGIER devrait lui écrire un livret. De son côté, Pauline, étonnée par les compositions que GOUNOD lui montre, en particulier la mélodie "Le Vallon" sur un poème de LAMARTINE, décide que si GOUNOD en écrit la musique et que si AUGIER accepte de faire le livret, elle chantera le rôle principal. Ainsi fut fait. "Madame VIARDOT ! s'écria AUGIER, mais bien sur, tout de suite !". Le sujet choisi fut "Sapho", peut-être par Pauline elle-même. Ce sera le premier opéra de GOUNOD. Il a trente trois ans.
Pauline VIARDOT n'était pas belle. Avec son dos voûté, ses yeux saillants, ses traits forts, elle était même assez laide, mais d'une laideur attachante. Henri HEINE la comparait à un monstrueux paysage exotique. Le jour de ses fiançailles avec VIARDOT, mariage arrangé par Georges SAND, un peintre belge aurait dit au futur mari: "Elle est atrocement laide mais, si je la revois, je l'aimerai". Sa voix, disait Camille SAINT-SAENS, n'était ni une voix de velours, ni une voix de cristal; elle évoquait plutôt les oranges amères, faite pour la tragédie, les vers épiques, les oratorios. Sa culture musicale était telle qu'elle impressionna une fois son auditoire en chantant un air merveilleux mais inconnu de MOZART qu'elle avoua après avoir elle même composé.
Ayant invité GOUNOD chez elle à la campagne, celui-ci y resta quelque temps en l'absence de Pauline et en profita pour terminer son opéra. Quand elle revint, il lui joua sa composition et la chanta. Elle fut émerveillée et apprit l'oeuvre rapidement par coeur. GOUNOD écrira: "Ce fut le plus extraordinaire tour de force musical que j'ai jamais vu; il donnait la mesure des capacités étonnantes de cette merveilleuse musicienne".
A la première de Sapho, le 16 avril 1851, on fut surpris et généralement satisfait par la nouveauté et la fraîcheur. C'était très nouveau, très différent. La critique ne fut pas favorable, elle était en fait décontenancée, pressentant quelque chose de neuf. Mais BERLIOZ, à l'issue de la représentation dira à GOUNOD: "Bravo, voyez, j'ai les yeux pleins de larmes'"
Hélas cette amitié si enrichissante se terminera bêtement et mal.
Quand GOUNOD annoncera son mariage en avril 1852 avec Anna ZIMMERMANN, Pauline sera surprise car Charles ironisait sur les ZIMMERMAN et leurs quatre ingrates et sombres filles ! "On repoussera le mariage", avait promis GOUNOD, pour que Pauline, prête à accoucher, puisse être présente. Pauline invita à plusieurs reprises Charles et sa future belle famille. Ils ne s'y rendirent point. Le mariage fut discret, Pauline n'y fut pas invitée. Elle envoya un bracelet en cadeau de noces. Il fut retourné ! Un mot anonyme aurait annoncé qu'elle avait été sa maîtresse. Ainsi, pour une jalousie injustifiée, se termina cette amitié. Pauline VIARDOT fut profondément heurtée, elle avait accueilli GOUNOD, l'avait encouragé à écrire son premier opéra et ouvert les portes du théâtre ainsi que les salles de concert à Londres. Elle en parlera à Georges SAND comme d'un Tartuffe. Non, c'était un faible ! Elle lui gardera cependant son admiration, espérant que son génie ne serait pas atteint par ses amitiés du moment où par son propre caractère.
Le 16 février 1850, Pauline VIARDOT avait fait part à Georges SAND de son bonheur d'avoir rencontré ce jeune compositeur à qui la notoriété paraissait assurée. "Sa musique est aussi divine que sa personne est noble et distinguée. Bien qu'il soit présentement inconnu, GOUNOD a un avenir immense". GOUNOD était certainement plein de charme à l'époque, bien de sa personne, beau parleur, brillant en conversation, d'une grande élévation d'esprit, de large culture, réceptif aux idées nouvelles et continuellement entouré de jolies femmes. Très émotif et de réactions imprévisibles, ses amis de jeunesse disaient: "Un jour il grimpait aux arbres et chantait tous azimuts, un autre il entrait en transe religieuse. Un jour il embrassait le mari, le lendemain il courtisait la femme".
Fanny HENSEL (1815-1847)
C'est également à Rome que le jeune GOUNOD rencontrera Fanny HENSEL soeur de Félix MENDELSSOHN. Cette rencontre fut de toute première importance. Hôtes assidus de la Villa Médicis, Fanny et son mari le peintre HENSEL côtoyaient les pensionnaires, surtout les musiciens, "nos français", disait-elle. Dans son journal elle dépeint GOUNOD comme un artiste brûlant d'une flamme juvénile. "Peu de personnes savent plus sincèrement et plus follement s'amuser que lui. Jamais de fatigue, jamais de repos. S'il fait clair de lune, on part en bande vers les bois ou vers le Forum et le Colisée. GOUNOD grimpé sur un acacia, nous jette des branchages fleuris. Nous entonnons en choeur un concerto de Bach et marchons en cadence à travers Rome. Nous désapprenons à dormir"
Fanny était l'âme de ce petit groupe. Pianiste admirable, le soir et fort avant dans la nuit elle interprétait les compositeurs allemands, et GOUNOD, qui pourtant croyait les connaître, en recevait par elle une révélation foudroyante. GOUNOD baisait les mains de Fanny avec transport, "Un pareil auditeur est une bonne fortune" écrira-t-elle, "Il se trouve toujours à cours d'expression quand il veut me faire comprendre quelle influence j'exerce sur lui et combien ma présence le rend heureux". Le 30 mai 1840, le départ approche. "Je me sentais très lasse et découragée. Pour ne pas fondre en larmes, je me suis mise au piano et j'ai joué l'allegro de la sonate en la majeur de BEETHOVEN. GOUNOD implorait à genoux la faveur d'entendre l'adagio de la même sonate". Enfin, résumant les impressions de GOUNOD: "Notre musique allemande produit sur lui l'effet d'une bombe qui éclaterait dans une maison. Jugez du désarroi".
Si brève qu'ait été cette rencontre unique, elle ne devait pas être vaine. Elle révéla de secrètes sympathies et prépara des analogies futures. Pour la première fois peut-être, elle établit le contact, le courant entre la musique allemande et la musique française. Autant que du MOZART, sinon davantage, on trouvera un jour du MENDELSSOHN dans le GOUNOD profane et dans le GOUNOD religieux. Ce sera notamment le cas avec la Deuxième Symphonie en mi bémol écrite à l'instigation de MENDELSSOHN lorsque GOUNOD retourne voir les HENSEL à Berlin. C'est d'ailleurs à cette occasion que heureusement sans succès, Félix MENDELSSOHN tentera de dissuader GOUNOD de s'attaquer à Faust jugeant cette entreprise au dessus des forces humaines. C'est assurément MENDELSSOHN qui fit entrevoir à GOUNOD des horizons nouveaux en matière d'orchestration, domaine peu enseigné à l'époque au Conservatoire de Paris, bien qu'il faille noter que le jeune GOUNOD fut formé à la méthode allemande du contrepoint par Antoine REICHA, originaire de Prague, qui vécut à Hambourg et connu BEETHOVEN. Retournons un moment à Rome. Le Faust de Goethe était le sujet de longues discussions avec Fanny HENSEL. Elle analysait pour lui le caractère particulier de chacun des héros du roman: Faust, Méphistophélès et surtout la tendre Marguerite, "portrait de la jeune fille allemande", disait elle. GOUNOD écrira à sa mère: "Je rêvais à Marguerite, je m'identifiais à elle, son image frappait continuellement mon coeur, je n'aspirais qu'à me trouver dans sa patrie". Ceci explique qu'après la création de Faust à Darmstadt en 1861 un journaliste écrivit: GOUNOD n'est pas français, sa composition ne porte pas le caractère des Écoles françaises ou italiennes modernes, mais bien celui de l'Ecole allemande dans laquelle il s'est élevé et développé".
Lors de la création de Faust à Hambourg et à Hanovre, en 1863, GOUNOD écrira à sa femme: "Le roi de Hanovre m'a beaucoup remercié d'avoir écrit Faust en me disant qu'il n'aurait jamais pensé qu'un français aurait pu entrer à ce point dans l'esprit et la conception de GOETHE". Telle ne sera pas l'opinion de Richard WAGNER qui parlera de "parodie de notre Faust allemand". Ce qui fera dire à GOUNOD "Chez Richard WAGNER tout repose sur l'orchestre. Moi je mets au premier plan le chant, la mélodie, la partie vocale. L'orchestre la soutient, l'étoffe, la colore sans jamais la dominer".
Fanny HENSEL fut sans aucun doute une femme qui compta beaucoup pour Charles GOUNOD. Sans elle quelle forme aurait eu notre Faust, aurait-il même vu le jour ?
George SAND (1803-1876
Georges SAND, la "Dame de Nohant", n'en fut pas moins parisienne même très parisienne. Au couvent des Chanoinesses, sur les pentes de la Montagne Sainte Geneviève, comme GOUNOD, elle connut la parenthèse mystique de sa vie et, à quinze ans, elle crut découvrir en elle les signes d'une vocation religieuse; mais bien vite, elle se tourna vers le théâtre et joua du Molière.
En 1835, elle rencontre Alfred de MUSSET et, l'année d'après, s'installe rue Pigalle; CHOPIN occupe un pavillon au fond du jardin. En 1842 elle va square d'Orléans, au 80 rue Taitbout, CHOPIN la suit. Dans le voisinage elle retrouve le peintre DUBUFE, futur beau-frère de Charles GOUNOD et la famille ZIMMERMAN future belle famille de GOUNOD qui, lui-même, habite avec sa mère, à quelques centaines de mètres de là, rue Pigalle. On y trouvait aussi le pianiste ALKAN -que l'on découvre aujourd'hui- la TAGLIONI, et enfin Pauline VIARDOT, C'était là un véritable ermitage d'artistes. La personnalité de Georges SAND et celle de Joseph ZIMMERMAN étaient telles que se retrouvait chez eux tout le monde des arts et des lettres. Georges SAND écrit:"Sans sortir de cette grande Cour d'Orléans, nous courons le soir les uns chez les autres comme de bons voisins de province. C'est une espèce de phalanstère qui nous divertit". C'est là, dans ce coin de quartier de Paris que se noueront et se dénoueront des amitiés nombreuses et de multiples destinées. Si en 1847, Georges SAND déménage encore une fois pour aller rue de Condé, "la cambuse", comme elle dira, ses amis lui resteront fidèles et Pauline VIARDOT viendra y faire entendre une Marseillaise nouvelle ! "C'est moi qui mène tout cela !" écrira-t-elle.
On peut penser qu'elle fut sensible au charme et aux dons de GOUNOD, elle a 48 ans et lui 33. En mars elle écrit à un ami: "Allez donc trouver GOUNOD, le nouveau MOZART, le premier compositeur du siècle, le génie musical qui va ouvrir une nouvelle ère; je ne plaisante pas. Il est encore à peu près inconnu. Mme VIARDOT l'a déterré je ne sais où, et lui a fait faire un opéra: Sapho. J'ai entendu cet opéra, il me l'a chanté tout entier chez Pauline.
C'est un chef d'oeuvre. C'est grand, c'est simple, c'est beau comme ce qu'il y a de plus beau"
Le 24 octobre, GOUNOD ayant accepté d'écrire la partie musicale d'une de ses pièces, elle lui précise ses intentions et le remercie de sa collaboration: "Je suis contente de vous devoir quelque chose". Et elle termine: "Eh bien va pour l'opéra-comique berrichon'". Le 30 octobre, GOUNOD ayant rempli son contrat, elle lui écrit: "Mon cher enfant c'est superbe. Rien qu'un fa dièse, un ré bémol, mais à propos. J'irai à Paris et vous dirai mon scénario d'opéra comique. Nous parlerons de cette grande affaire bientôt". Enfin, le 10 janvier 1852: "Quand ferons-nous un opéra? Cet été j'espère. Je me croyais prête à me donner toute entière à notre projet et je ne le suis pas. Espérons que vous pourrez venir cet été vous berrichonner musicalement. Peut-être que grâce à vous, la musique dont je suis privée depuis tant d'années à mon ordinaire, me ravitaillera quelques temps encore". En effet, CHOPIN était mort à peine trois ans auparavant.
Il n'y aura pas de bientôt, et lorsque le 20 avril 1852 GOUNOD épousera Anna ZIMMERMAN, Georges SAND, fidèle en amitié, prendra le parti de Pauline VIARDOT, blessée dans son honneur et son affection par l'attitude de Charles. Elle s'éloignera de GOUNOD et plus jamais n'envisagera une collaboration avec celui dont le comportement avait témoigné d'une faiblesse de caractère et, pour le moins d'une maladresse certaine.
Nul ne sait ce qu'aurait pu donner la rencontre de ces deux tempéraments si riches et si différents.
Quand Georges SAND mourra en 1876, TOURGUENIEV écrira:"La mort de Madame SAND m'a fait beaucoup de chagrin. Pauvre chère Madame SAND quel coeur d'or elle avait ! Quelle absence de tout sentiment petit, mesquin, faux; quel brave homme c'était, et quelle bonne femme !".
Rosalie JOUSSET ( 1838-1863)
Il est une histoire inédite qu'il faut que je vous compte et où vous apprendrez comment une certaine Rosalie intervint par accident dans le cours d'un événement qui serait demeuré banal s'il ne s'était agi du fameux "Ave Maria".
GOUNOD fiancé à Anna ZIMMERMAN, fille de l'inspecteur général des études au Conservatoire impérial de Paris allait souvent dîner chez sa fiancée. Régulièrement il attendait dans le salon familial en improvisant au piano. Un jour son futur beau-père, pianiste réputé entend le jeune Charles improviser sur le premier prélude de J-S BACH en ut majeur, une mélodie qu'il jugea ravissante. GOUNOD l'ayant répété une seconde fois, ZIMMERMAN s'empressa de la noter, puis quelques jours plus tard, il la fit entendre à GOUNOD, jouée par un violon, une quinte au dessus. C'est ainsi que naquit la "Méditation sur un prélude de BACH" qui par la suite, on verra comment, devint le fameux Ave Maria, que GOUNOD n'écrivit donc pas et qui a tant fait pour sa popularité ! Ajoutons que ZIMMERMAN, qui avait conclu l'affaire avec un éditeur, remit à GOUNOD une somme de deux cents francs pour l'achat de l'oeuvre...
Mais l'histoire n'est pas finie ! Nous sommes en 1852, GOUNOD, 34 ans, séduit par la tendre mélancolie de quelques vers de LAMARTINE et porté peut-être à en offrir la primeur à une certaine... Rosalie son élève, eut l'idée d'adapter à la fameuse mélodie les vers en question:
Le livre de la vie est le livre suprême
Qu'on ne peut ni fermer ni ouvrir à son choix.
Le passage adoré ne s'y lit qu'une fois,
Le livre de la vie est le livre suprême
On voudrait le fixer à la page où l'on aime
Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même
Et la page où l'on meurt est déjà sous les doigts.
Les prémices de cette adaptation où la musique exprimait si bien les paroles, furent apportées à Rosalie à qui elles étaient dédiée. Cependant, la belle-mère de Rosalie, Aurélie dont la piété s'effarouchait de la tendresse croissante de GOUNOD, pouvait craindre qu'un sentiment si contagieux n'atteignit sa fille dont GOUNOD ne se lassait pas d'entendre la voix divine. Fort embarrassée et n'osant faire allusion à ses craintes ni auprès de GOUNOD ni auprès de sa belle-fille, Aurélie eut l'idée ingénieuse de se servir de la religiosité accentuée de GOUNOD pour lui faire substituer à ces paroles profanes un texte moins compromettant. Elle porta son choix sur l'Ave Maria et essaya d'écrire les paroles latines au dessous des vers du poète. J'ai vu ce document, cela ne se fit pas sans peine mais le résultat fut assez satisfaisant. Aurélie montra donc son adaptation à GOUNOD qui s'en enthousiasma d'autant mieux que sa finesse d'esprit ne lui permit pas de se méprendre sur les intentions secrètes qui avaient poussé Aurélie à cette substitution. Il retoucha la version nouvelle et c'est de la sorte que les strophes exquises de LAMARTINE si harmonieusement adaptées au Prélude de BACH firent place à la prière de l'Ave Maria, fort étonnée sans doute de se trouvée accouplée à cette mélodie sentimentale !
Ainsi, sur une esquisse mélodique sans importance de GOUNOD, accompagnée par un prélude de J-S BACH, Joseph ZIMMERMAN fixera la mélodie sur du papier, mélodie à laquelle une obscure Mme. JOUSSET ajoutera les paroles de l'Ave Maria ! Et, oh ingratitude, GOUNOD dédia cette mélodie, dans sa forme définitive ni à Joseph, ni à Rosalie, ni à Aurélie, mais à la grande cantatrice Mme. MIOLAN-CARVALHO !
TOURGUENIEV, dans un de ses ouvrages écrira : "L'homme est faible, la femme est tenace, le hasard est tout puissant".
Décidément, les sirènes à la voix ensorceleuse font parfois, même involontairement des miracles.
Peu importe en somme l'anecdote car finalement c'est bien à lui GOUNOD qu'on doit la mélodie, et cette histoire illustre bien le fait que GOUNOD savait exprimer d'une même plume l'amour profane et l'amour sacré.
MARCELLO (1836-1879)
Adèle d'AFFRY, duchesse CASTIGLIONE COLONNA, de son nom de sculpteur: MARCELLO. Elle appartenait à l'une des grandes familles de l'aristocratie fribourgeoise. Sur sa tombe, à Givisiez, près de Fribourg, sont gravés ces mots: "Elle aima le Beau et le Bien et ses oeuvres lui survivent". Sa devise était: "Jamais moins, toujours plus". Quel programme ! Mais quelle femme elle était !
Quand une vocation d'artiste naît dans une âme d'élite visant à la perfection, lorsque l'artiste lui-même vit dans un climat passionné générateur des plus nobles inspirations, il peut arriver que la beauté de l'oeuvre dépasse son auteur et éclaire de sa lumière tous les actes d'une existence ou les ombres et les tourments ne font point défaut, ce qui est commun à tous les mortels. "MARCELLO est le rare exemple de ce que peut une femme de coeur et d'esprit, lorsque non seulement elle suit sans réserves le génie qui l'anime, mais lorsqu'elle en fait encore le moyen de rendre plus exquis autour d'elle les fruits de la culture et de la civilisation. Elle devient alors la dame élue pour donner un sens plus vrai, plus profond, à la douceur et à la grandeur de vivre". Son chemin croisa celui de Charles GOUNOD en 1867. Ce fut un 8 avril à Paris. Le 12 il lui écrivait.
"Merci ! -avant tout- puisque ma bonne étoile a permis que ce mot-là, qui est à lui seul un bonheur, fût le premier de la première de mes lettres... Vous m'avez montré une fois de plus que ce qu'il y a de meilleur est donné à ceux qui ne se cherchent pas, puisque je vous ai trouvée. Voilà de quoi me rendre à tout jamais reconnaissant envers mon art, et me prouver qu'il m'aime véritablement".
Quinze jours plus tard, le 27 avril 1867, ce sera la première de Roméo et Juliette.
"Et puis maintenant que Juliette est née sous vos yeux, il faut que j'aille vous entretenir de ce qui naîtra sous ce rayon que vous êtes et que j'ai reçu et qui ne me quittera plus".
Cette correspondance passionnée, entre deux êtres passionnés par leur art, entrecoupée de rencontres à Paris et à Rome, durera plus de deux années. Hélas les lettres de MARCELLO ne sont pas parvenues jusqu'à nous, sauf une. Il est à craindre qu'elles n'aient été détruites. On dit que GOUNOD se les faisait adresser au concierge de l'Opéra, voulant éviter des rumeurs toujours pénibles.
Cette amitié, disons amoureuse, fut tenue secrète pendant plus d'un siècle, et c'est au début des années quatre-vingt qu'en Belgique je pris connaissance des lettres de Charles GOUNOD. De cette correspondance il apparaît que GOUNOD fut pour la duchesse un ami fidèle. Un même idéal très élevé, un même désintéressement, une même religion du Beau les unit. La duchesse aima et vénéra GOUNOD qui sera son confident, son conseiller.
Si certaines lettres de GOUNOD sont le reflet d'une nature passionnée, voire exaltées, en matière d'art les deux amis s'accordaient parfaitement et toujours. On comprend que les problèmes dont ils débattent les unissent sur le plan de la foi religieuse et d'un commun amour de la Beauté, c'est bien là qu'il faut voir le principe vital de leur intimité.
Près de trente années après son amitié pour Pauline VIARDOT et Fanny HENSEL, GOUNOD rencontre à nouveau un être d'esprit et de chair qui parle le même langage que lui, le langage des artistes de génie qui connaissent les souffrances et les joies de la création.
Et justement, ces années là, GOUNOD est pris d'un doute terrible sur ses capacités à poursuivre son oeuvre. Elles connaît les même inquiétudes et ils se soutiennent l'un l'autre. GOUNOD, le 25 fevrier 1869 lui écrira: "L'union consiste à se charger l'un de l'autre afin de ne plus avoir à se porter soi-même, ce qui est l'Enfer. Ne laissez pas la morsure du banal grignoter votre âme". Dès 1868 MARCELLO sut probablement répondre à l'angoisse qui étreignait GOUNOD et qu'il lui dépeignait en ces termes: "ce mal étrange qui m'obsède depuis si longtemps déjà et qui me conduit par des routes dont le dessein est si mystérieux pour moi. Je souffre de la suppression des pores de l'âme. Un tremblement de terre seul peut me sauver". Le tremblement de terre ce sera la guerre et le désastre de 1870. Mais fut-il sauvé ?
Il faudra attendre de longues années pour que la première nouvelle oeuvre importante de GOUNOD voie le jour, ce sera en 1882 "Rédemption", oratorio sacré sur un poème dont il fut l'auteur et qui "part de la douleur et des larmes pour arriver à la pleine lumière et à la joie", écrira-t-il.
Il m'est agréable de penser qu'à l'Opéra de Paris où la musique de GOUNOD retentit si souvent, on peut admirer une oeuvre de MARCELLO représentant une Pythie. Les bustes, mêmes en bronze, ont parfois des oreilles; la tête de la devineresse est tournée comme pour voir d'où vient cette musique qui lui est si familière.
Camille CLAUDEL était l'élève de RODIN. MARCELLO fut l'élève de CARPEAUX dont elle laisse un buste saisissant. Elle était, elle aussi, une amie fidèle de Pauline VIARDOT.
Georgina WELDON (1837-1914)
Lorsqu'en 1870 les Prussiens sont aux portes de Paris, GOUNOD accompagné de sa famille, se réfugie chez une amis en Angleterre où il débarque le 13 septembre. En octobre le Château de Saint-Cloud est incendié, et en janvier 1871, dernier rempart de la résistance, la maison de GOUNOD est détruite. Quand sa femme et ses enfants rentrent en France en mai 1871, de nouveaux amis, le ménage WELDON, invitent GOUNOD à s'installer chez eux à Londres. GOUNOD restera en Angleterre plus de trois années, pour, écrira-t-il plus tard "vivre la grande erreur de ma vie."
Quand elle rencontre GOUNOD, Georgina a 34 ans et GOUNOD 53. De Georgina GOUNOD dira a des amis: "C'était une belle créature, elle avait une belle voix et une belle âme". Encore une sirène ! De ce dernier point on peut douter. Elle ne fut pas, et de loin, une fée bienfaisante, mais cependant parfois une véritable inspiratrice. Mais, comme le rapporte l'organiste C-M WIDOR, le ménage WELDON pressurait son hôte et lui faisait littéralement "suer de là musique". Dans ses mémoires Georgina WELDON avoue ses desseins et livre sa vraie nature: "Je me sacrifiais toute entière pour aider cet homme qui avait déjà un nom que je n'avais pas, un nom qui allait m'aider, moi, à fonder une École pure, régénérée et qui selon nos rêves et ma conviction rendrait les hommes meilleurs et le monde moins malheureux". "Je n'avais pas le moindre doute que GOUNOD serait devenu mon "fermier" et que j'aurais fait avec succès son affaire et la mienne": C'est en février 1871 que Georgina fait la connaissance de son "fermier": GOUNOD, depuis cinq mois à Londres. Elle écrira, avouera: "L'agent de ma foi m'avait trouvé ! Celui que le plus ambitieux rêve de ma vie n'eut jamais imaginé ! Par son admiration je me trouvais soudain lancée au rang d'une des plus célèbres artistes de l'époque".
En fait l'auteur de Faust représentait un capital qu'il eut été criminel de laisser improductif. Georgina WELDON se considéra comme l'agent personnel de GOUNOD en Angleterre et elle obtint de lui une procuration générale ! Une fois GOUNOD ramené en France par sa famille alertée sur son état de désarroi total, les manuscrits restent séquestré à Londres. GOUNOD réécrira Polyeucte en France et, de rage devant cet exploit, Georgina restituera l'original, chaque page portant en travers son nom au crayon bleu ! Elle traîne GOUNOD devant la justice, il est condamné, le sol britannique lui est interdit.
Revenons un instant aux mémoires de Georgina WELDON. La première fois qu'elle vit GOUNOD, écrit-elle: "L'aspect ne me plut pas, parce qu'il avait le teint sale, que ses mains me paraissaient sales ses habits sales et trop courts; GOUNOD me semblait tout rond, sa barbe rasée en rond, pas un poil ne dépassant l'autre, son cou court, son ventre rond, ses épaules rondes, les yeux ronds qu'il m'avait lancés ! Et puis il était gras et vieux. Ce n'était pas un maigre jeune et silencieux Trappiste. GOUNOD joua en me lançant des regards sérieux, (mais ronds). Il commença à chanter et je n'écoutais que ses paroles qui m'allaient droit au coeur, qui remuaient les fibres de mon émotion. Je ne savais plus de quel côté regarder. Mes larmes qui avaient commencé à couler des la première ligne étaient devenues un ruisseau, le ruisseau un fleuve, le fleuve un torrent, le torrent des sanglots, les sanglots une attaque de nerfs".
Elle chanta pour lui, et Georgina note dans son journal: "J'ai la voix la plus extraordinaire qu'il ait jamais entendue, une voix des deux sexes. Il dit avoir trouvé en moi sa Pauline, l'héroïne de son nouvel opéra".
Plus tard GOUNOD écrira: "Priez pour cette femme qui me persécute'"
L'Angleterre n'aura pas été comme l'Allemagne le fut, source de satisfactions et de souvenirs heureux. Déjà en 1859, Chapell, éditeur à Londres, dépose Faust le 21 juin alors que la date limite était le 19 ! Ainsi, dès sa naissance Faust tomba en Angleterre dans le domaine public !
Anna ZIMMERMAN (1829-1906)
Et Anna ? Qui était-elle, quel rôle eut-elle auprès de son mari ?
Elle avait onze ans de moins que Charles et quand ils se marièrent en 1852, Charles avait 34 ans.
Dans ce fameux Square d'Orléans, proche de la Rue Pigalle ou GOUNOD habitait avec sa mère, les salons de Joseph ZIMMERMAN et de sa belle épouse Hortense étaient très accueillants. Se pressaient dans les salons des femmes charmantes, de célèbres virtuoses, des artistes de tout genre. Les amusants jeudis de ZIMMERMAN offraient pour chaque soirée un nouvel attrait à la curiosité: un tableau de maître, un artiste étranger de réputation musicale acquise en Allemagne ou en Italie. Un autre soir un fragment d'opéra en répétition vient solliciter les suffrages des dilletanti de salon, une timide élève du Conservatoire essaie en chantant de se donner l'aplomb dont elle aura besoin à la scène. On imagine sans peine que Charles GOUNOD, Grand Prix de Rome de composition musicale ait été reçu dans ce cénacle romantique. Mais, comment entra-t-il dans la famille, que la tradition soit vraie ou non, la chose mérite d'être contée.
Comment faire quand on a quatre filles à marier, intelligentes et de bonne éducation, pas forcément jolies, et de plus... sans dot ? Voici comment on agit, disait Madame ZIMMERMAN qui ne manquait ni d'esprit ni d'à propos, et qui de surcroît était séduisante, elle !
"Pour la première on fait des gracieusetés. Pour la deuxième, des avances, Pour la troisième, des lâchetés, Pour la quatrième, on commet un crime!" GOUNOD épousa la troisième. Y eut-il lâcheté ? On raconte qu'elle lui fut poussée dans les bras, alors qu'il venait rendre visite et annoncer que tout compte fait il ne se sentait ni prêt ni digne d'épouser aucune des quatre ! "Je vous la donne'" aurait dit Madame ZIMMERMAN en ouvrant la porte sans laisser à GOUNOD le temps de parler. Et ainsi fut fait ! Cette scène, GOUNOD ne l'a jamais inscrite dans aucun de ses ouvrages. Nous n'avons pas eu "Le marié malgré lui".
Devint-il amoureux d'Anna ? Il ne semble pas que ce fut le coup de foudre. Cependant, parmi les lettres qui sont venues jusqu'à moi il en est une qui apporte la preuve qu'un sentiment profond avait pris naissance dans son coeur:
"C'est à cette heure de silence et de recueillement qui termine le jour et précède le sommeil que je veux demander quelques mots d'une tendresse tout à l'heure muette par l'excès même de l'émotion, Je viens vous dire "merci et amour" à ce moment où chacun rentre en soi-même et où l'âme parle bien mieux seule que la pauvre parole si insuffisante parfois à la traduire".
Sapho l'avait fait connaître, la méditation sur le Premier prélude de BACH était à peine composé. Anna ne pouvait pas encore deviner chez Charles celui qui atteindrait la célébrité de son vivant,et Joseph ZIMMERMAN s'empIoyait à faciliter à GOUNOD l'édition de son opéra Ulysse lequel serait créé à peine un mois après son mariage.
Le premier geste d'amour d'Anna fut de refuser l'achat d'un bijou que lui proposait sa future belle-mère, pour consacrer cette somme à offrir à Charles un piano qu'il convoitait. Elle renouvellera le geste vingt-cinq ans plus tard avec des orgues de Cavaillé-Coll.
Quelle influence eut Anna sur les capacités créatrices de son mari ? Je suis bien embarrassé pour le dire et je ne pense pas être injuste en disant qu'elle ne joua pas le rôle d'une inspiratrice. Ses lettres manifestent d'une tendre fidèle et solide présence, ce qui ma foi, était un don bien précieux de sa personne auprès d'un mari dont les caprices du génie créateur ne devaient pas être toujours faciles à vivre. MOZART, en parlant de Constance disait: "Elle n'avait pas de vivacité d'esprit mais assez de bon sens pour pouvoir remplir ses devoirs d'épouse et de mère": Ni l'une ni l'autre n'ont constitué un entrave à la carrière de leur époux.
Les relations intellectuelles, culturelles de GOUNOD avec sa femme n'étaient certes pas du même ordre que celles qu'il eut le bonheur d'avoir avec Pauline VIARDOT, Fanny HENSEL, et plus tard avec MARCELLO. Il tenait sa femme au courant de l'évolution de ses créations musicales. Mais les grands enthousiasmes, provoqués par le choc de deux natures artistiques hors du commun, c'était avec d'autres, et Anna en fut bien sur un peu jalouse. C'est cette jalousie qui explique le secret avec lequel GOUNOD entoura ses relations avec MARCELLO. C'est cette jalousie qu'il mit en avant pour ne pas écouter Anna lorsque plus tard elle voulut qu'il mit un terme à son exil. Elle sentait qu'elle ne participait pas à ce domaine où d'autres avaient accès.
Si GOUNOD composa dans sa jeunesse successivement Sapho à la gloire de la poétesse à la lyre immortelle, puis Ulysse qui se faisait attacher au mât de son navire pour ne pas succomber au charme des sirènes, il faut bien admettre que GOUNOD fut souvent Ulysse et qu'Anna craignait les sirènes.
Conclusion
Si, comme j'ai tenté de vous le faire percevoir, GOUNOD doit beaucoup aux femmes qui l'accompagnèrent durant certains moments de son existence, en retour les femmes lui doivent autant.
Certes, à douze ans la MALIBRAN éveille en lui le goût de la composition musicale. Pauline VIARDOT est l'inspiratrice de Sapho. Fanny HENSEL le sensibilise au romantisme allemand. MARCELLO le soutient de son rayonnement alors qu'il est dans une impasse totale de création. La WELDON le porte à composer les "Biondina". Même la vierge Marie s'imposera dans un Ave Maria non prévu au départ !
Mais, en y regardant de près et si on fait abstraction de sa musique d'inspiration religieuse, les compositions musicales de GOUNOD mettent en lumière divers aspects de l'éternel féminin. Est-ce par une sorte de transfert que GOUNOD, tout au long de son oeuvre, évoquera divers types de femmes, à l'opposé de Richard WAGNER dont l'oeuvre sera plus particulièrement centrée sur l'épopée des dieux et de l'homme ? Deux oeuvres les rapprochent dans un équilibre parfait du couple homme-femme: Roméo et Juliette, et Tristan et Yseult. Mais chez GOUNOD, ce sera Sapho la poétesse, Marguerite la jeune-fille sans défense, Juliette et la fragilité de l'amour profane, Pauline et la grandeur de l'amour sacré, Balkis, la Reine de Saba et la faiblesse des sens, et enfin, Mireille, la plus fraîche de toutes ses héroïnes.
GOUNOD disait: "Ce qui nous intéresse avant tout, par dessus tout au théâtre, c'est nous-mêmes, nous fils, pères, mères, amants, en un mot nous humains!" Il y a quelques jours j'entendais Vittorio Gassman dire: La musique est un art sans signification directe, mais elle a le pouvoir de susciter l'émotion pure".
Quand on demandait à GOUNOD quelles étaient ses préférences dans la vie, il répondait: "Dieu créa trois belles choses: la musique, les fleurs et les femmes, Ce sont elles que j'ai toujours chantées.
Voilà peut-être ce qui explique la présence toujours vivante de l'oeuvre de GOUNOD. Remercions-en les neuf muses que je viens d'évoquer devant vous, elles y sont certainement pour quelque chose.
Jean-Pierre Gounod